Corrélativement, pendant la seule année 2004, les activités humaines ont émis 49 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, dont 26 milliards d'origine fossile. A ce rythme, la température moyenne de notre planète risque d'augmenter de plus de 6°C d'ici la fin du XXIème siècle. Or tous les scientifiques affirment qu'il faut absolument contenir la hausse des températures à moins de 2°C, sous peine d'atteindre un dangereux point de bascule climatique. Selon les travaux du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), les pays riches doivent réduire leurs émissions de GES de 25 à 40% d'ici à 2020, et de 80 à 95% d'ici à 2050 par rapport à 1990. En d'autres termes, les émissions nettes des pays industrialisés devront être quasi nulles à l'horizon 2050.
Force motrice dans les négociations internationales sur le climat, l'Union européenne entend être prête pour aborder la conférence qui s'ouvrira fin 2009 à Copenhague sur l'après-protocole de Kyoto, qui fixera les futures trajectoires d'émissions à partir de 2012. Pour être crédible aux yeux de la communauté internationale et des pays du Sud, l'Union doit se doter d'objectifs exemplaires. Sous peine de fiasco international. Un accord européen a minima handicaperait sérieusement les négociations internationales sur l'après-Kyoto.
Ce 1er juillet, la France a pris les rênes de la présidence de l'Union européenne pour les six prochains mois. Dans son allocution télévisée du 30 juin dernier, le président de la République, Nicolas Sarkozy, a affirmé que le « paquet climat-énergie », défini par la Commission européenne en janvier 2008, serait la priorité de la présidence française de l'Union. Les échéances de cette période sont cruciales. Sous présidence française, le paquet énergie-climat devra aboutir à l'adoption de quatre textes : révision du marché européen de quotas de CO2, proposition de décision sur le « partage de l'effort » pour les secteurs hors quotas (agriculture, transports, bâtiments), réglementation des émissions de CO2 des véhicules individuels, directive-cadre sur les énergies renouvelables, dont le but est d'atteindre 20% d'énergies renouvelables dans la consommation d'énergie de l'Union à l'horizon 2020, et proposition de directive sur le stockage géologique de CO2.
Outre le paquet « énergie-climat », d'autres textes relatifs au changement climatique seront à l'ordre du jour pendant la présidence française : directive sur les émissions de CO2 des véhicules particuliers, livre vert sur la déforestation et le changement climatique, et proposition de directive visant à inclure les activités aériennes dans le système communautaire d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre. Le secteur des transports étant une source importante de gaz à effet de serre (27% des émissions de l'UE), la révision de la directive Eurovignette, relative à la taxation des poids lourds utilisant les infrastructures routières, devra aboutir à une meilleure prise en compte des externalités environnementales : changement climatique, bruit, congestion, pollution locale, atteintes à la biodiversité.
Postures clivées
Plusieurs points demeurent en suspens. Selon une étude publiée le 18 juin par l'UE, les pays européens sont encore loin d'avoir atteint leurs objectifs en matière de réduction des émissions de GES. Les 15 Etats-membres les plus anciens les ont diminuées de 2,7% en 2006 par rapport à 1990, alors que l'objectif d'ici à 2012, est de les réduire de 8%. Dans son paquet climat-énergie de janvier 2008, la Commission s'est accordée sur un objectif de baisse de 20% des émissions européennes d'ici à 2030. Objectif que les ONG environnementales, rassemblées au sein du Réseau action climat (RAC), considèrent insuffisant en regard des scénarios fixés par le GIEC. Pour parvenir à un seuil de précaution climatique, les émissions doivent avoir baissé de 30% au minimum en 2030.
En regard de telles exigences, les atermoiements des pays-membres dénotent d'une posture clivée. Les ONG environnementales reprochent à Nicolas Sarkozy d'avoir cédé à Angela Merkel lors d'une négociation bilatérale, le 9 juin, sur l'objectif initialement proposé par la Commission de plafonner à 120 g par kilomètre les émissions des véhicules particuliers d'ici à 2012, mesure essentielle du plan climat européen. Sous la pression du lobby allemand des constructeurs automobiles, adeptes des grosses cylindrées, Angela Merkel a troqué un accord avec la France, qui pourrait se traduire finalement par un objectif de 138 g de CO2 par km d'ici à 2012, au lieu des 120 g initialement prévus conformément aux recommandations de l'Agence européenne de l'environnement. Ce « deal » aurait été obtenu en échange, selon Greenpeace, d'une tolérance sur le nucléaire, que la Commission européenne a toujours refusé de considérer comme une énergie propre. De fait, la France s'agace que Bruxelles lui demande de porter la part des énergies renouvelables dans sa production énergétique à 23% d'ici 2020, contre 11% aujourd'hui, au motif qu'elle émet 25% de GES de moins que la moyenne européenne, en raison de l'importance particulière de son parc nucléaire. L'objectif européen d'incorporation de 10% d'énergies renouvelables dans le secteur des transports d'ici à 2020 est aussi sujette à caution, car il s'agit essentiellement des agrocarburants, dont le bilan écologique est fortement contesté.
D'autres points sont en litige. La réforme de l'European Trading Scheme (ETS), le système d'échange de quotas d'émissions de GES que la Commission veut mettre aux enchères à partir de 2013, a provoqué un tollé dans les milieux industriels concernés (cimenteries, compagnies pétrolières, aciéries), qui menacent de délocaliser. En réponse, Nicolas Sarkozy préconise une taxe carbone aux frontières qui frapperait les produits ne respectant pas le Protocole de Kyoto. Mais cette proposition est mal accueillie par les pays du Sud, qui y voient un protectionnisme déguisé. En tout état de cause et au-delà des menaces proférées, la mise aux enchères intégrale des quotas constitue un mécanisme conforme au principe pollueur payeur : elle permettrait de générer annuellement environ 40 milliards d'euros dans l'UE des 27, sur la base d'une tonne de CO2 à 25 euros en moyenne. De quoi financer la lutte contre le changement climatique en Europe et dans les pays en développement.
Pendant les six prochains mois, Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, devra être sur tous les fronts pour rallier ses partenaires européens à la cause climatique, tout en faisant valoir la proposition française de baisse de la TVA sur les produits pétroliers, pourtant antinomique avec le projet du Grenelle d'instaurer une contribution climat-énergie. Sept pays d'Europe de l'Est, menés par la Hongrie, contestent les objectifs de réduction des émissions de GES que leur a fixés Bruxelles. Ils demandent que l'année de référence pour le calcul de l'effort national soit 1990, et non 2005. Car leur niveau d'émissions était particulièrement faible dans la dernière décennie du XXème siècle, en raison de l'effondrement de leur industrie après la chute du bloc soviétique.
Introuvable sobriété énergétique
Laborieux empilement de mesures, le bien nommé « paquet climat-énergie » ne parvient pas à inaugurer le changement de paradigme énergétique qui devrait conduire à une Europe neutre en carbone à l'horizon 2050. En tablant sur une croissance indéfinie des consommations d'énergie, l'Europe ne s'attaque pas au gaspillage, alors que les importations d'énergie coûtent un milliard d'euros par jour à l'Union européenne. Or toutes les études montrent qu'un euro investi dans les économies d'énergie est plus rentable qu'un euro investi dans les capacités de production. Selon l'ensemble des ONG environnementales, l'efficacité énergétique doit être assortie d'un objectif juridiquement contraignant, à hauteur de 20% en 2020. Pour les Amis de la Terre, elle est un préalable au développement des énergies renouvelables, car les objectifs climatiques ne pourront être tenus tant que le gaspillage énergétique règne dans tous les secteurs – transports, bâtiment, agriculture, industrie.
Reste à revisiter la doctrine européenne de la sécurité énergétique, qui se résume à la sécurisation coûte que coûte des approvisionnements, dans un contexte de raréfaction des ressources et d'incertitudes géopolitiques. Une réflexion est à mener en vue d'un changement profond de paradigme énergétique, qui substituerait à la priorité de l'offre la priorité de la demande et modifierait profondément les rapports du citoyen aux systèmes énergétiques. Les « négajoules » attendent leur lobby.