Face au risque d'extinction à court terme du grand tétras, le syndicat mixte du parc naturel régional des Ballons des Vosges, constitué de collectivités locales, a adopté, le 13 octobre dernier, une délibération en faveur d'une expérience de translocation d'oiseaux sauvages en provenance de Norvège. Le 4 mars dernier, les services de l'État ont lancé une consultation du public (1) sur ce projet. Elle s'est achevée ce dimanche 24 mars. L'idée est loin de faire l'unanimité, y compris au sein des associations de protection de la nature dont plusieurs s'y opposent compte tenu de l'évolution défavorable des milieux naturels sous l'effet des changements climatiques et du tourisme.
Question centrale des impacts du changement climatique
Ce projet de lâcher n'est pas tout récent puisque le parc naturel a réalisé une étude de faisabilité en 2020, suivi, en 2022, de la structuration du projet comprenant notamment une analyse des expériences en cours en Europe, l'établissement d'un plan de translocation et la mise au point d'un dispositif de suivi scientifique. Le parc a également constitué un comité de pilotage réunissant l'ensemble des partenaires et financeurs du projet, parmi lesquels l'Office français de la biodiversité (OFB) et l'Office national des forêts (ONF). Ces travaux ont permis au parc de déposer, le 17 janvier 2023, un dossier de demande d'autorisation (2) d'introduction dans le milieu naturel auprès de la Dreal Grand Est. Consultés sur le projet, le conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) et le Conseil national de protection de la nature (CNPN) ont tous deux rendus un avis défavorable sur le projet.
Dans son avis (3) , le CSRPN estimait que « le projet ne permettra[it] pas d'éviter l'extinction de la population sur le massif au cours des cinq prochaines années car les conditions indispensables au rétablissement d'une population viable de grand tétras [n'étaient] à l'évidence pas réunies ». Il estimait également que les mesures d'accompagnement prévues étaient « loin d'être à la hauteur des besoins qu'une telle opération nécessiterait pour espérer des résultats positifs ». Un avis qu'a partagé le CNPN (4) jugeant le projet « non abouti ». Celui-ci fixait deux préalables : établir un bilan objectif du plan national d'actions (PNA) consacré à cette espèce sur la période 2018 à 2022 et une modélisation sur sa capacité à se maintenir sur un temps long. « L'effondrement continu des populations de grand tétras en France (et ailleurs en Europe) constaté depuis trente ans intercepte de plein fouet (outre les pressions anthropiques directes et indirectes) la question centrale des impacts du changement climatique sur les habitats et l'espèce », justifiait l'instance consultative.
Un groupe scientifique à l'appui
Cette analyse complémentaire, conclut ce denier, permet de relativiser les risques liés aux effets du changement climatique et de la fréquentation dans le massif. « Cependant, les risques liés aux pressions de l'écosystème local demeurent (pression de prédation et d'abroutissement) et devront faire l'objet d'un suivi rigoureux afin d'expérimenter des solutions pour mieux les prendre en compte », nuance toutefois le parc, qui se félicite par ailleurs de la maîtrise des coûts. Un coût qui s'élève à 580 000 euros par an en 2024 et en 2025.
« Une des dernières chances de préserver les milieux »
Les résultats de la consultation publique ne sont à ce stade pas connus, les contributions n'étant pas accessibles en ligne. Mais on connaît d'ores et déjà la position des associations de protection de la nature. Deux camps se distinguent, même s'ils se rejoignent sur le constat de la dégradation des habitats et sur la nécessité de renforcer les mesures de protection.
Parmi les pro, on trouve la Ligue pour la protection des oiseaux Alsace (LPO Alsace) ainsi qu'Alsace Nature. « Ce projet va plus loin que la simple survie du grand tétras sur le massif, car sa présence est une des dernières chances de préserver les milieux sauvages encore présents et les espèces qui y trouvent refuge, comme la gélinotte des bois par exemple », estiment Michèle Grosjean et Yves Muller, président respectif de chacune des deux associations, dans un communiqué commun. Les deux représentants associatifs soulignent, à cet égard, l'importance des mesures d'accompagnement indispensables : mise en place d'une gestion sylvicole favorable, extension ou création d'aires protégées, interdiction ou limitation d'accès aux zone sensibles, abandon des projets impactants, retour vers un équilibre forêt/gibier.
Insuffisance de la surface d'habitats favorables
Parmi les antis, figurent Vosges Nature Environnement, pourtant membre comme Alsace Nature de France Nature Environnement (FNE), et Oiseaux Nature. Sur la forme, les deux associations déplorent que le CNPN et le CSRPN n'aient pas été de nouveau consultés après la présentation du dossier complémentaire par le parc naturel. Sur le fond, elles font part de leur avis défavorable, voire très défavorable pour la première.
« La population de grand tétras des Vosges est au bord de l'extinction, nul ne peut le contester… Alors, à première vue, un projet de "renforcement" de cette population agonisante (pas plus de cinq individus, seulement des femelles semble-t-il) peut sembler une excellente initiative. Hélas, non ! », estime Oiseaux Nature. L'association pointe notamment l'insuffisance de la surface d'habitats favorables, la fréquentation du massif, les effets des changements climatiques sur la structure des forêts et sur les températures, l'impact négatif des populations de cerfs et de sangliers, ainsi que les millions d'euros déjà dépensés en vain. La chasse du galliforme, quant à elle, déjà interdite dans les Vosges a été suspendue dans toute la France en septembre 2022.
« L'exemple de la réintroduction de l'espèce dans les Cévennes illustre bien cet échec patent. Plus de 600 oiseaux d'élevage ont été lâchés pendant vingt-cinq ans, accompagnés d'un piégeage des prédateurs pour arriver à ce jour à la présence supposée de quelques individus erratiques, abonde Vosges Nature Environnement. Ce n'est pas soutenable, ni acceptable éthiquement. »
« Ce projet est avant tout politique : les élus veulent à tout prix que l'oiseau emblème du massif vosgien reste présent dans leurs forêts ! » estime même Oiseaux Nature, qui dit s'opposer au projet « la mort dans l'âme ». Reste à connaître la teneur des autres contributions adressées lors de cette consultation à travers la synthèse que la Dreal doit en réaliser, puis de la décision que la préfète des Vosges va prendre à l'issue de la procédure d'instruction de la demande.