Le 24 février, l'Agence de la Transition écologique (Ademe) a délivré, avec un mois de retard, le détail des mix électriques correspondant à chaque scénario futur de son rapport « Transition(s) 2050 ». Ce dernier développe, pour rappel, quatre « récits » de société pour une France neutre en carbone d'ici à 2050 : plutôt sobre énergétiquement ou non, favorisant les nouvelles technologies ou une rénovation massive, etc.
Si ce « feuilleton » complémentaire conforte globalement les propres analyses prospectives du gestionnaire du réseau électrique, RTE, quelques différences demeurent. Tous les mix électriques élaborés par l'Ademe s'appuient, par exemple, sur au moins 70 % d'énergies renouvelables (par rapport à 22 % en 2020), contre quatre sur six pour RTE.
De plus, la méthodologie de l'Ademe diffère de celle employée par RTE. Plutôt que six mix applicables à trois trajectoires de consommation (et donc 18 configurations possibles), les cinq mix présentés ici répondent à un des quatre scénarios spécifiques de consommation énergétique future, présentés en décembre dernier. « Il n'est pas possible d'imaginer qu'un mix de production modélisé pour un scénario donné puisse être appliqué à un autre scénario, énonce l'Ademe. Nous avons pris le parti d'évaluer des mix électriques cohérents avec le récit sociétal et politique choisi pour chaque scénario. » Seul le scénario, nommé « S3 » ou « Technologies vertes », comporte deux options : avec ou sans les six réacteurs de type EPR2 souhaités par le président Emmanuel Macron.
Deux niveaux de sobriété énergétique
Avec 86 % d'EnR, le mix électrique du scénario S2, ou « Coopérations territoriales », répond à une consommation électrique de 540 TWh/an, similaire à celle envisagée par RTE dans sa trajectoire « sobriété ». Comptant principalement sur le solaire sur grande toiture et de plus grands parcs éoliens terrestres, le système électrique s'appuie également sur une plus large pilotabilité de la demande électrique, en intégrant notamment 60 % des bornes de recharge des véhicules légers de l'Hexagone.
Moins « frugale » que son cadet, ce scénario parvient cependant à réduire le prix de l'électricité en euro par mégawatt-heure (€/MWh) de manière non-négligeable. Si cette valeur reste stable sur l'ensemble des autres scénarios et proche de son niveau actuel (à l'instar de ce que RTE a calculé), le mix électrique modélisé pour respecter le scénario S2 observe une réduction de 12 %, par rapport à 2020. L'Ademe justifie cette différence par l'exploitation de technologies mâtures et compétitives économiquement (le photovoltaïque et l'éolien terrestre) et l'utilisation massive d'électrolyseurs à hydrogène, atténuant les recours aux interconnexions, batteries et centrales à gaz, en termes de flexibilité.
Avec ou sans nouveau nucléaire
« Le recours à des technologies complémentaires au photovoltaïque ou à l'éolien terrestre permet de limiter la pression sur les sols et les paysages : la modélisation montre que les deux options possibles, à savoir le nucléaire EPR2 ou l'éolien en mer flottant, apportent dans ce contexte des bénéfices économiques et carbone proches, même si l'option avec le nucléaire est légèrement moins coûteuse », énonce l'Ademe. Le coût total du système électrique de ces deux options, entre 2020 et 2060 est fixé à 1 309 milliards d'euros (Md€), pour « S3Nuc », et à 1 318 Md€, pour « S3EnR-offshore ». La seule différence provient d'un surcoût léger de réseau et de raccordement, pour le second. Quant au bilan carbone, l'Ademe assure que la production d'électricité issue de ces deux mix (ainsi que des S1 et S2) émet annuellement environ 13 millions de tonnes d'équivalent CO2 (MtCO2eq/an) de moins qu'en 2020. Seul le système électrique du scénario « S4 » se distingue sur ce plan, avec une diminution de 6 MtCO2eq/an.
Consommer davantage coûte plus cher
Nos besoins en ressources d'ici à 2050
L'Ademe a également publié son analyse sur les besoins bruts, hors recyclage ou évolution technologique, en métaux et matériaux nécessaires à la transition énergétique. « Assez logiquement, les scénarios les plus sobres énergétiquement permettent également de réduire les impacts sur les besoins dans ces matériaux », avance l'agence. Ils partagent néanmoins quelques points communs. Tandis que la demande en béton, acier ou verre sera « négligeable », la consommation française en aluminium et cuivre, notamment pour les véhicules, « contribuera de façon prédominante à l'augmentation des besoins français d'ici à 2050 ». Idem pour le lithium, le cobalt et le graphite. Par ailleurs, ne serait-ce que pour atteindre éventuellement 48 GW d'éolien en mer, le besoin français en terres rares représentera à lui seul 1,7 % de la production mondiale, « ce qui s'avère supérieur à la part de la France dans le PIB mondial ».
Et pour satisfaire les 840 TWh/an de demande en électricité, l'Ademe préconise de faire appel à une « hypothèse maximale » de construction de cinq paires d'EPR2 d'ici à 2050 (en plus de Flamanville), soit 10 nouveaux réacteurs pour une puissance totale d'environ 16 GW. À titre de comparaison, RTE mise sur jusqu'à 24 nouveaux réacteurs (40 GW) pour 2060. Toutes les autres sources d'énergie décarbonée sont développées au maximum de leurs capacités : 144 GW de solaire photovoltaïque, 63 GW d'éolien terrestre, 48 GW d'éolien en mer et jusqu'à 16 GW de maintien du parc nucléaire existant.
Le coût complet de ce mix électrique particulièrement gourmand est évidemment le plus élevé des cinq. Pour le mettre en œuvre, il faudra que la France dépense 1 518 Md€ jusqu'en 2060, contre 1045 Md€ pour réaliser le système électrique associé au scénario S1. « Les coûts totaux des trajectoires 2020-2060 du système électrique augmentent avec la consommation électrique », conclut l'Ademe, s'accordant là encore avec les conclusions de RTE. Les analyses économiques et environnementales complètes – nécessaires pour en savoir plus – seront publiées « avant l'été ».